Ouest-France, 09 février 2010

«Massoud n’est pas un héros, c’est le boucher de Kaboul. Les seigneurs de guerre sont des criminels et devraient être poursuivis en justice!»

En privé, Malalaï Joya laisse entrevoir ses cheveux sous le foulard. Lorsqu’elle se déplace, elle enfile une burqa qui dissimule entièrement le corps.

Elle est la femme afghane que les médias occidentaux s’arrachent. Menacée de mort, elle vit dans la clandestinité, ne parle que de politique, écrit au nomde son peuple contre les seigneurs de guerre, les talibans, le gouvernement, la coalition…

Le lieu du rendez-vous est gardé secret. Une voiture attend au Sud de Kaboul, la capitale afghane. Il faut traverser les embouteillages, les ruelles boueuses et s’arrêter devant la porte en bois sculptée d’une modeste maison en pisé, sans étage. Dans le jardin, cinq hommes, armés de kalachnikovs, s’excusent de faire ouvrir les sacs. «Je dois aussi vous fouiller», ajoute la secrétaire de Malalaï Joya, qui palpe corps et vêtements avant de nous donner l’autorisation d’entrer…

Malalaï Joya est un petit bout de femme bien protégée. Menacée de mort à plusieurs reprises, elle a décidé de vivre en Afghanistan dans la clandestinité. Elle ne se déplace qu’en burqa (voile bleu intégral), entourée de ses gardes du corps et change de logement tous les jours. Aujourd’hui, elle est accueillie dans la maison d’un supporter.

«Je ne peux pas vous dire où je serai demain, pour des questions de sécurité… J’accepte ces sacrifices au nom de mon peuple», explique-t-elle sans qu’un sourire n’éclaire son visage gracieux et ses grands yeux noirs. Musulmane pratiquante, Malalaï porte un voile léger, qui laisse apparaître ses cheveux. Elle poursuit : « Je suis la voix des sans voix, des pauvres de notre pays.»

L’ancienne institutrice n’a pas froid aux yeux. Élue députée en 2005, elle s’est fait connaître par ses discours enflammés, comparant le Parlement afghan à une basse-cour, les anciens chefs de guerre à des ânes et des vaches. La jeune femme de 32 ans ne fait pas dans le politiquement correct : «Massoud n’est pas un héros, c’est le boucher de Kaboul. Les seigneurs de guerre sont des criminels et devraient être poursuivis en justice ! » Elle reproche à l’ancien chef de guerre du Nord d’avoir laissé les milices piller la capitale, en 1992, après le départ des Soviétiques. Mais elle est tout aussi critique à l’encontre des talibans, adversaires victorieux de Massoud. Ou de la coalition occidentale, qui a délogé les talibans en 2001. «Les forces étrangères occupent notre pays et tuent des civils. La communauté internationale a gâché des millions de dollars à cause de la mafia corrompue de Hamid Karzaï(l’actuel président), continue-t-elle sans s’essouffler. La situation des femmes ne s’est pas améliorée. La seule différence avec la période noire des talibans est que les autorités parlent au nom d’une démocratie qui n’existe pas.» Et les femmes subissent toujours des viols pour vider des querelles de famille, sans que la justice n’ose s’en mêler…

«Massoud n’est pas un héros»

Malalaï aime se présenter comme une activiste de la démocratie qui n’a pas peur de parler contre les puissants et dénoncer les injustices. Elle est bien connue des médias occidentaux, qui l’ont surnommée la «femme afghane la plus célèbre». À Kaboul ou à l’étranger, elle multiplie les interviews… Cette semaine, elle est à Paris pour promouvoir son dernier livre, Au nom de mon peuple.

Elle porte son message en citant Brecht et Zapata. Elle parle aussi du fondamentalisme, du fascisme, énumère les héros de l’histoire afghane. Difficile de parler d’autre chose que de politique. Aux questions personnelles, elle reste discrète : «Je me suis mariée il y a quatre ans avec un de mes partisans.» Un sourire illumine enfin son visage. «Il soutient toujours ma politique.»

Malalaï, issue de la classe moyenne, a été éduquée au Pakistan, où sa famille a fui l’occupation soviétique de l’Afghanistan, puis la guerre civile entre seigneurs de guerre. Elle retourne dans sa province d’origine en 1999, sous le régime taliban, pour monter une école clandestine. Un engagement reconnu par les habitants qui l’élisent en 2005, députée de la province de Farah.

Mais la virulence de ses discours ne plaît pas à tout le monde. Le Parlement la suspend de ses fonctions en mai 2007, après un vote de défiance pour propos diffamants. Menaces après menaces, Malalaï passe dans la clandestinité. Son franc-parler n’est d’ailleurs pas apprécié de tous les Afghans. «Elle en fait trop, elle est agressive. On dirait qu’elle veut juste se rendre célèbre, estime Farhad Peikar, un journaliste de Kaboul. Haroun Mir, analyste au Centre afghan de recherche et d’études politiques, ajoute : «Elle dénonce ce que bien peu de monde ose dénoncer à voix haute, parce que nous sommes dans une société très conservatrice. Mais ses critiques ne sont pas très constructives…»

Malalaï Joya est encensée par la presse occidentale, mais les Afghans ont quelques réserves à son égard. Peut-être parce qu’ils attendent plus qu’un discours enflammé pour reconstruire leur pays.