par Bruno Fanucchi, Le Parisien, 11 février 2010

AFGHANISTAN. Malalaï Joya, députée afghane menacée de mort, dénonce dans un livre l’occupation étrangère de son pays.


PARIS (VIe), HIER. Expulsée du Parlement afghan, Malalaï Joya poursuit son combat contre les talibans et les seigneurs de la guerre. (LP/DELPHINE GOLDSZTEJN.)

Elue en 2005 plus jeune députée du Parlement afghan, Malalaï Joya, 31 ans, en a été expulsée en 2007, coupable des’être attaquée aux seigneurs de la guerre et de dénoncer la corruption du pouvoir. Depuis, sa vie est devenue un enfer. Elle nous le raconte dans son livre «Au nom de mon peuple»* qui sort aujourd’hui.

Vous sentez-vous toujours menacée?

MALALAÏ JOYA. Je le suis en permanence. Depuis que j’ai décidé de poursuivre — en dehors du Parlement — mon combat politique contre l’injustice, les talibans et les seigneurs de la guerre et pour la défense du droit des femmes en Afghanistan, je suis ouvertement menacée de viol et de mort! Pour des raisons évidentes de sécurité, et malgré mes gardes du corps, je dois redoubler de vigilance et je ne reste jamais trois heures au même endroit dans Kaboul. Je suis même obligée parfois de porter la burqa pour que personne ne me reconnaisse.

En France, faut-il interdire le port de la burqa?

C’est une récupération politique. C’est un chiffon rouge agité par les autorités françaises pour masquer d’autres problèmes beaucoup plus sérieux. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de légiférer à ce sujet. En Afghanistan aussi, où toutes les femmes étaient habillées à l’occidentale dans les années 1970 avant l’arrivée au pouvoir des talibans, c’est un problème vraiment secondaire par rapport à la drogue. C’est en réalité un choix personnel. Aucun gouvernement, personne, ne peut imposer ou interdire le port de la burqa.

Mais vous vous battez pourtant pour les droitsdes femmes?

La burqa, c’est comme un linceul qu’on porterait de son vivant. C’est un symbole d’oppression, dont il va falloir se débarrasser. Mais c’est aussi un moyen de survie pour les femmes pour se déplacer aujourd’hui en toute sécurité. Le problème de l’oppression de la femme était une bonne excuse pour les Etats-Unis pour intervenir et occuper notre pays, tout en prétendant bien sûr y imposer la démocratie. Voyez comment se sont déroulées les élections présidentielles en août. C’était une vaste supercherie, largement boycottée par les Afghans qui, comme moi, ne voulaient pas légitimer un pouvoir corrompu.

Et la main tendue aux talibans par le président Hamid Karzaï?

Karzaï n’est que la marionnette des Américains. C’est le plus corrompu et il trahit le peuple en composant aujourd’hui avec les talibans et les fondamentalistes de tout poil qu’il vient de faire retirer de la « liste noire de terroristes des Nations unies.

Que pensez-vous de la politique de Barack Obama?

En envoyant des renforts militaires en Afghanistan, Obama se trompe complètement. Au lieu de nous faire des excuses pour les crimes de Bush, il continue la guerre. Alors qu’il devrait retirer ses troupes, cesser de financer les seigneurs de la guerre, comme le vice-président Fahim, et faire pression sur tous les pays voisins qui soutiennent les talibans comme l’Iran et le Pakistan. Car le peuple afghan a aujourd’hui trois ennemis: les troupes d’occupation que sont les Américains et l’Otan, les tali- bans et les seigneurs de la guerre qui continuent leur trafic d’opium.

* Presses de la Cité, 370p., 20,50 Euro.

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